Dans une maternité sous un réverbère
Nous sommes tous nés quelque part
Les yeux clos innocents
La peau fragile en état de larve
Beaux et laids l’esprit fugueur
Et nous nous sommes épanouis
Ouvert au monde malgré nos blessures
Pour les Êtres Humains
Je suis libellule
Je suis multiple et multitude
Je suis agilité élégance beauté
Je suis la gardienne de l’eau la sentinelle
Lorsque je suis apparue
La terre était couverte de clairières
De prairies et de forêts
Dans les paysages
Le charme venait des marais
D’où émergeaient des lumières délicates
Les brumes qui font rêver
Les rêves qui donnent les berceuses
Les histoires les contes
Tous ces contes
Dont les hommes ont besoin pour grandir
Et se transformer
Nous avons en partage
Le goût du changement
Et celui de la curiosité
Le temps s’écoule
Je suis née là
Où vous vous tenez
Au bord de ces galets usés par le temps
Au début ce n’était qu’une terre spongieuse
Un point d’eau puis un étang nourrisson
Ce fut un bassin
Aujourd’hui
C’est une fontaine qui m’honore
Et qui s’en s’amuse
Elle et moi
Nous vous accueillons avec joie
Cela ne fut pas toujours le cas
Durant bien des âges
Les Volovents ont prospéré
Sans rival dans ce pays de cocagne
Nous étions là avant vous
Tu ne t’en rappelles peut-être pas
Nous avons connu les dinosaures
Et assisté à la naissance des premiers oiseaux
Notre envergure pouvait atteindre soixante dix centimètres
Comme bien d’autres espèces
Reptiles ou arbres
Nous avons décliné
La métamorphose fait partie de notre règne
Nous réapparaissons plus tard
Et plus tard encore
A chaque mutation
Notre taille se réduit
C’est sans importance
Nous revenons plus adaptés
Plus gracile plus efficace
L’eau a changé de place
De formes
De températures
Il y a eût des âges de glace
Durant lesquelles nos larves s’adaptèrent
Puis l’eau retrouva sa liberté
Et ses berges continuent d’abriter nos amours
Nous y naissons
De mues en mues
Nous avons le temps
Nous l’avons toujours eu
Avec la venue des premiers Êtres Humains
Commencèrent le temps des grandes chasses
Beaucoup étaient persuadés que nous sommes comestibles
Le temps des chasseurs cueilleurs ne fut pas facile
Mais ils passèrent
Les Êtres Humains marchent toujours plus loin
Alors que nous ne quittons pas nos pièces d’eaux
Peu à peu
Certains d’entre vous ont pensé à s’arrêter
De plus en plus nombreux
Ils quittent les abris sous roches
Et dressent des camps circulaires
Fortifiés de terres crues et de paille
Ce sont toutes nos eaux qui les retiennent
Étangs rivières lacs ruisselets
L’agriculture balbutie
Elle réclame beaucoup d’efforts
Ils perdent le goût de nous traqués
Les étangs font leurs vies d’étangs
Grouillante luxuriante polymorphe
Lorsque le Moyen âge bataille de tous côtés
Cette terre devient la porte des Ducs
Le château de 1153
Appartiendra à la Seigneurie d’Amédée
Et puis en 1630 Louis De La Barbouze
Forme un siège et détruit le château
Ils ne nous gênent pas trop
Cependant
Le désir d’espace nous vient
Durant l’élévation du château médiéval
Ce minuscule point d’eau
Se voit transformé en petit bassin d’agrément
Lové entre les ailes du grand bâtiment
Cela inspire les nôtres
Nous décidons d’agrandir l’horizon
Les Volovents partent à la conquête
Ce Domaine est comme un royaume
Derrière la montagne la forêt
Danse des herbages à perte de vue
C’est la grande étendue du lac d’Aix-les-Bains
Longtemps
Nous menons nos existences à l’écart des Hommes
La vie dans les étangs est captivante
Rives végétales en pente douce à explorer
Plantes aquatiques où atterrir
Insectes pullulant
Promontoires de graminées
Nous festoyons de mouches
Moucherons moustiques éphémères
Nous y rencontrons souvent
Les petits peuples de la nature
Dont vous racontez
Les histoires dans vos livres
Ils viennent danser souvent
Aux bords des étangs
Les fées les vouivres
Les ondines les elfes
Les follets et les lutins
Qui courent dans les prés
Et guident les chevaux vers nous
Pour qu’ils s’abreuvent
Pendant ce temps
Les Êtres Humains
Continuent de faire la guerre
Ils avancent dans les bocages
Ils empiètent
Ils construisent les granges
Les étables les fuies un moulin
Les écuries les métairies puis les hameaux
Le château grandit dépérit
Change de nom de famille
Il périclite
Il est reconstruit
Il connaît la ruine
Et un jour l’abandon
Les étangs restent les étangs
Nos larves et nos nymphes continuent d’y prospérer
Entre les murs de la Grande Maison
Aux toits percés
Nous constatons l’invasion des hiboux
Des chauves-souris des araignées
Dont nous n’avons rien à craindre
Mais il y a aussi les faucons hobereaux
Et les faucons crécerelles
Nos puissants ennemis
La vie dans les airs est tendue
Il y a quelques saisons
Le Domaine est acheté à nouveau
De longs travaux débutent
Nous voyons arriver des colonnes d’engins
Des machines menaçantes
Nous redoutons l'envahissement
L’ingérence mais surtout la pollution des eaux
Ou le comblement des étangs
Par décision par négligence ou par excès de détritus
Nous formons essaims escouades escadrons
Nous volons et survolons
Beaucoup d’entre nous ont péri
En s’essayant au vol de nuit
Nous avons posté partout des guetteurs
Nous avons réussi des vols stationnaires
De très longue durée
Nous avons envisagé l’exil
Et l’abandon de la place aux nuisibles
Nous avons tenu des conseils
Et nous avons établi que les détritus
N’encombraient pas nos rives
Que la chimie chimique ne polluait pas les eaux
Ni les prés ni les champs
Que les murs étaient relevés
Les toits restaurés et qu’ils étaient beaux
Que les jardins étaient redessinés ensemencés
Vous venez d’en créer un
Qui n’avait encore jamais existé
Vous l’appelez potager
Mais avant tout la magie était invitée
Vous avez inventé un mot pour elle
Vous dites lumière
Il est venu l’homme qui a marché partout
Il a regardé observé dessiné
Il sait allumer des soleils doux
Dans les taillis
Disperser des feux
Qui ne brûlent pas les arbres
Il attrape le rayonnement des fils lumineux
Dans les voiles des fées
Il emprunte aux lucioles leurs luminescences
Il se saisit des halos
Des constellations lointaines
Pour les diffuser dans les bosquets
Il crée des pistes
Pour la féerie et des rêves avec elle
Cette lumière
Il lui construit des abris nouveaux
Il les appelle des objets des luminaires
A travers eux il la déplace
Il l’invente
Il nous réinvente
Il nous dépayse
Souvent lorsqu’il arpente le domaine
Nous le suivons de près
Lorsqu’il s’assoit pour dessiner de nouvelles étoiles
Je viens souvent me poser sur la table à côté de sa main
Il a intercepté nos vibrations
Et a semé partout nos silhouettes
Arrêtées dans les faisceaux
Sur les pierres les herbes les arcs de la fontaine
Et celles disposées autour des arbres
Il a capté l’essence de nos vols et nos envols
Est-ce que nous allons les voir
Suivons le premier preneur d’étoiles
En prenant le chemin des lucioles
La grande sphère roule jusqu’au labyrinthe
D’autres preneurs nous rejoindront ou pas
Au gré de leurs inclinations
Du sens de la brise
De la danse de leur planète dans le ciel
Ou du désir des invités
Parfois
Il est recommandé de ne pas faire trop de bruit
Dans les détours du labyrinthe
Continuons la découverte
Nous allons vers l’eau
Elle est l’âme du domaine
Des générations de Volovent
Libellules et demoiselles
Y sont nées
En promenant sur les berges
Vous pourrez croiser des lestes dryades
Des lestes fiancés et des verdoyants
Des cordulies métalliques
Des libellules empereur
Des écarlates
Aussi des leucorrines à front blanc
Je ne peux pas toutes les citer
Les lumières lianes nous suivent d’arbre en arbre
Elles sont nichées dans les formes de fleurs volubiles
Les ipomées les clématites les volubilis
Veuillez pousser la porte des gouttes
Pour apprécier le point de vue
Qui s’ouvre sur le lac
Que nous reconnaissons
Comme un couloir d’envol
Il est agréable d’y flâner
A la tombée du soir
Pour apprécier le spectacle
De nos émergences
Au-dessus des miroirs d’eaux
Entre les forêts d’ombellifères
C’est un séjour pour le calme et la rêverie
Nous revenons vers la Grande Maison
Pour rendre visite au potager
C’est un jeune jardin qui danse
Les carottes swinguent
Sous les bancs qu’elles soutiennent
Les bornes de balisage virevoltent
Les épouvantails se trémoussent
Les tuteurs frétillent
Volovent a beaucoup contribué à sa fantaisie
Volovent a une magie bien à elle
Elle appartient à la catégorie des libellules spectre paisible
Qui n’aime rien
Tant que voler au crépuscule
Cette heure favorable
A l’approche des fééries
Elle a souvent rencontré des Néluisines
Voisines de marais
Mais sa plus grande joie
Est d’accueillir Akistu la Grande
Qui voyage d’Est en Ouest une fois par an
En passant par les buées et les vapeurs
Autour des bambous et des nénuphars
Pour conjurer les banquets des escargots
Et autres colimaçons gourmands
Volovent a inspiré les jardiniers
Ils ont fait épouser au jardin la forme d’une spirale
Le mimétisme pourra-t-il les dérouter
Nous l’espérons
Les épouvantails aussi font de leur mieux
Pour détourner l’attention des pies des étourneaux
Et toutes ces sortes de bêtes volantes
A grosses ailes opaques et pleines de plumes
Ce sont des épouvantails contraires
Ils n’effraient aucun volatile
Ils distribuent des graines
L’aube s’agace une nouvelle saison s’éveille
La brise siffle sur les pâturages et les bois
Des gouttes d’eau paraissent flotter dans l'air
Je bois cette lumière étrange venue de si loin
Cette turbulence folle et transparente
Qui barbote sur quelques anémones roses
Anémones qui se balancent sur leurs grandes tiges
Résisteront-elles à la tentation de s’endormir
A la clairière de mon ascension aux pays d’Arcadie
Apercevrais-je une nymphe en boléro bleu marine
Qui coule ses dernières heures dans le ruisseau en cru
Et danse sur une feuille de nénuphar en sursit elle aussi
J'embrasse sans retenue la soie de mes toiles tendues
Et toutes ses plantes à floraison tardive
Qui rougissent dans leurs couleurs originelles
Une curieuse sensation me secoue les sens
En fermant les portes en vert de mon regard
Mes lèvres déambulent à tâtons sans toucher terre
Serais-je encore sur le sein de mon jardin d’hiver
Où le son d’une flûte de Pan glisse à mon oreille
Pour me réveiller à nouveau comme au premier jour
Ici tout est inattendue facétie et légèreté
Soudain
J’entends un Hymne
Une confrontation
Entre l'harmonie et l'invention
Ou tout simplement mon réveil
Qui s’éveille sous les violons
Des quatre saisons de Vivaldi
Je redeviens un Être Humain
En marche
Entre terreur et espoir
Où l'honnêteté se perd
Dans une démocratie devenue folle
Où la vie n'a plus qu'une valeur
Marchande et de propagande
Où lorsque Cil Volovent
Dit les choses comme elles sont
Se retrouve au tribunal
Ici tout est foutaise farces et attrapes
La Terre sur écoute
RépondreSupprimerJ’occupe la chambre basaltique
Sous la barrière des coraux
Chauffée par la cheminée volcanique
Qui monte des abysses profonds
J’entends gronder les forges du nife
Nourrie par les roussettes
Pendues au plafond gaudien
Parfois je remonte en surface
Je suis le nouveau dinosaure
Surgi du point chaud de planète
Le soufre a rougi mes yeux
Dans l’enroulement adénique
Des fougères mégapodiques
J’ai le sang vermeil du magma
Et les pluies de météorites
Nourrissent mon désert liquide
Je n’ai ni chaud ni froid
Je suis l’ancêtre descendant
Qui remonte à chaque houle
Et je ne crains pas les varans.
J’ai mis la Terre sur écoute.
Marine
18 novembre 2012
Je ne crains pas l'ouran outang
SupprimerJ’ai mis je poème sur écoute
j'ai tout lu, un grand bravo pour tant de travail, aucune lassitude, j'ai donc traversé les siècles, vous m'avez retenu captive, bien des fois j'ai tenté de vous quitter, mais non, pour cela un grand bravo !!
RépondreSupprimerrespect et merci pour ce partage
gmlavie
Le plus long n'est pas de commenter mais de lire le texte !
SupprimerUn long survol de rêve de l'origine à notre époque
RépondreSupprimerIl faut savoir prendre son temps pour lire autant de ligne... Avec Vivaldi ce périple se déguste comme une poire Belle Hélène... On laissera la queue ( la fin ) pour les animaux...
SupprimerBonjour et merci James, j'aime, une belle journée, Emelle.
RépondreSupprimerMon avatar vous salue... Et ma Libellule danse !
SupprimerUn long survol de rêve de l'origine à notre époque, à travers un pays de douce beauté, qui se termine par un atterrissage forcé dans une réalité moins sereine.
RépondreSupprimerJe me suis laissé envoûter par la mélodie de ton texte et sa musique d'accompagnement: Yvon.
Je pouvais atterrir plus tard ou ailleurs... Sur un pays plus vallonné... Mais la libellule ne capitulera pas devant le vent d'hiver et son atmosphère de crise politique... La libellule et les Êtres Humains sont sur la tangente d'un virage technologique et de mutation... celle de remodeler sa façon de vivre et de consommer... Revoir son regard sur la libellule pour comprendre que l'un ne peut pas fonctionner sans l'autre ! Quoique mon texte prouve que Cil Volauvent seul peut vivre... Sans l'Être Humain...
SupprimerIl y a des passages dans ce texte de toute beauté...
RépondreSupprimerj'adoreeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee...
on dirait un conte mais qui hélas se termine par un réveil réalité où le "Volauvent" se retrouve les ailes brisées...superbe musique que celle de Vivaldi
Alex...merci pour ce régal de lecture...
Si c'était un calligramme on pourrait voir le corps d'une libellule tout en longueur, juste y rajouter des ailes
Oui... Merci
SupprimerLa Chute on ne peut que la deviner .....
RépondreSupprimerMoche et laide comme le parcours de cet homme ...naît parmi tant de beauté
et fini sa vie ...dans un monde de farce et attrapes.....
J'ai hésité (car trop long ce texte) mais une fois accrochée à la libellule - je me suis laissée partir
Oui... Merci
SupprimerÉcrit superbe, à méditer
RépondreSupprimermerci pour ce partage
J'ai lu avec intérêt passionné et je recommencerai
RépondreSupprimerMerci James
RépondreSupprimerNé quelque part comme tout le monde et demain ?
SupprimerWaouh! inspiré le poète! sourire
RépondreSupprimerJ'aime cette lecture
Merci James
Belle soirée
Mon avatar vous salue... Et ma Libellule danse
Supprimervoila, la poésie que j'aime et qui me fait rêver...
RépondreSupprimerDe toute beauté et d'invitation au voyage...
Bien à toi
Falb
Le voyage invite
SupprimerSe défend
Mais ne reste plus innocent
Parle
Crie
Envisage
Laisse des messages
De l'espérance
De l'amertume
De l'horreur
Du bonheur...
Dans ce monde de farces cruelles... La libellule résiste... et fait rêver... pour combien de temps ?
RépondreSupprimerMerci James
Belle soirée
Christine
Le plus long c'est la fin et comme dit Horace : « Il faut de la mesure en toutes choses »
SupprimerQuel beau voyage et la musique est superbe...
RépondreSupprimerMerci James !
belle journée
Voyager avant de voyager
SupprimerC'est prendre son pied sans le perdre !
vanité des vanités tout est vanité
RépondreSupprimermerci pour mon arbre généaillogique
je remonte dans les branches
Vers les feuilles tendres
Supprimer"J'embrasse sans retenue la soie de mes toiles tendues
RépondreSupprimerEt toutes ses plantes à floraison tardive
Qui rougissent dans leurs couleurs originelles
Une curieuse sensation me secoue les sens
En fermant les portes en vert de mon regard
Mes lèvres déambulent à tâtons sans toucher terre
Serais-je encore sur le sein de mon jardin d’hiver
Où le son d’une flûte de Pan glisse à mon oreille
Pour me réveiller à nouveau comme au premier jour"
J'adore le tout malgré la longueur et plus particulièrement la strophe ci dessus
merci James du partage
Amitié
mer des îles
Oui c'est le clou d'un spectacle que l'on aimerait perpétuer
Supprimerton écrit me rappelle un film "tree of live" de Terrence Malik.
RépondreSupprimerLynda
Je n'ai pas vu le film... mais d'après la critique c'est une sorte d'épopée cosmique, un hymne à la vie... Il est vrai un peu comme cet écrit...
SupprimerL'essentiel est ici de ne pas plonger sans penser aux conséquences, bien que l'Humain se soit adapté au fil du temps et sans se soucier du reste, mais la libellule aura toujours une capacité supérieure, celle de pouvoir voler !
Merci...
Je vais me faire un streaming ce soir et grimper dans l'arbre de (la) vie...
accroches toi aux branches parce qu'il est lourd de sens ,
Supprimermoi,j'ai adoré,
au cinéma quelques uns ont quitté la salle avant la fin,
tu me diras,
Lynda